Mon premier verre de vin
Vous appréciez les histoires ? Laissez-moi vous raconter celle de mon premier verre de vin, et pas que …
CRAAAAACCCC ! CRRRRROOOOAAAACCC …..
A grosses dents, ils arrachent les têtes de leurs proies.
Planquez-vous ! Les éclaboussures et projections vous torpillent. Les carcasses s’entassent les unes sur les autres … C’est un carnage.
Dès l’entrée, la famille se délecte de gambas au porto. Croquantes, juteuses et délicates … Elles éclatent sous les dents acérées des combattants. Le parfum vous enivre et vous transforme. Ici c’est un champ de bataille. Les tontons et les cousins se battent, avec humour, à celui qui en mangera le plus. A celui qui en volera le plus dans l’assiette du voisin.
Traquenards, astuces et rigolades. C’est populaire et drôle. C’est riche en émotions, en couleurs et en caractères.
Tous les personnages du tableau sont là. La grand-mère est un soleil, elle prend l’espace. Elle rayonne sur l’assemblée. C’est elle qui cuisine ces délices. Elle irradie la famille d’amour et d’attentions. Ces enfants (les tontons et tata) ont bénéficié de cette lumière toute leur vie. Ils sont entiers, drôles, tour à tour funambules, comiques ou chanteurs. Les cousins et cousines suivront plus ou moins dans les mêmes sillons, plus ou moins avec le même talent.
La bataille a donc lieu comme chaque week-end entre deux rires et deux estocades. Mais subitement tout s’arrête ! Un cessez-le-feu immédiat.
Que se passe-t’il ?
Me direz-vous
D’un regard !
D’un simple regard, le grand-père, jusque-là, spectateur invisible a stoppé le combat. Les jeux de mains ont toujours raison de sa patience. D’un regard le calme est revenu.
Mon attention se porte alors sur lui.
Qui est-il ce spectateur silencieux ?
Cet abonné fidèle et discret. Présent à chaque représentation, à chaque « bataille ».
Invisible pour mes yeux d’enfant. Il est enveloppé de mystère. L’énigmatique grand-père.
Mais en grandissant, l’œil s’aguerrit. Ces derniers temps je le distincte de plus en plus facilement à travers la poussière et l’agitation des affrontements familiaux. Il est bien présent. Il est en fait au cœur de l’action, en première ligne.
Les parfums d’ail, d’huile d’olive, et de coquillages savamment mélangés se propagent et réaniment les esprits. Le plat principal arrive alors comme une juste récompense pour les combattants. Des spaghettis alle vongole. Le plat préféré de la famille.
Le repos du guerrier sera pour plus tard. En cet instant commence le repas du guerrier.
Le grand-père s’occupe du vin, extirpe le bouchon de la bouteille comme une fusée de détresse.
Il se tourne vers moi.
Me regarde.
Prend un instant et me demande :
Tu veux du vin ?
hhmmmmm …
Ça vous paraît probablement insignifiant. En fait, c’est un signe fiable.
Voici l’histoire de mon premier verre de vin ! Mais pas que …
Je fais partie de l’escadron désormais. Mon enfance est derrière moi.
…
Depuis ce jour, le grand-père me distillera cette question à chaque repas. S’en servant comme d’une lance pour briser le silence et sa timidité.
Elle me manque cette phrase, il me manque ton silence … Mon mystérieux grand-père.